lundi 31 mai 2010

Serpentine - Mélanie Fazi


Ce mois-ci, au Cercle d’Atuan, nous avons lu Serpentine, de Mélanie Fazi, qui était plus pour moi une redécouverte qu’une découverte. J’avais en effet déjà lu ce recueil de nouvelles fantastiques il y a bien longtemps, dans son édition Oxymore.

J’aime bien les nouvelles en général. C’est un format agréable à lire car au contraire du roman qu’on va parfois trainer sur un mois, dont on perd parfois le fil, la nouvelle c’est une lecture courte, typiquement pendant un trajet en transport en commun, avec un début, une fin, et c’est plié en une demi-heure.

Comme la nouvelle se balade généralement en recueil, c’est aussi une source de diversité. Certes, on prend le risque de ne pas tout aimer (c’est même une certitude, même chez Gaiman je suis loin de tout aimer), mais on trouve plein de petits délices, un peu façon café gourmand.

Et puis, il y a un élément assez étrange, c’est le caractère concentré de la nouvelle. L’auteur étant obligé d’aller à l’essentiel, l’intrigue ou le concept ne sont pas délayés dans les pages, et ils laissent une empreinte forte dans un coin de votre tête. Il est fréquent quand on lit beaucoup de faire des liens entre les textes, genre « tiens ça me rappelle le roman machin écrit par bidule ».

Ca m’arrive beaucoup plus souvent avec des nouvelles, sauf qu’assez bizarrement ce qui me revient sur les nouvelles, ce n’est pas le titre ou l’auteur mais juste des sensations et des émotions. Je ne vous raconte pas la galère pour retrouver la nouvelle après…

Typiquement, cela doit bien faire six ans que j’ai lu Serpentine, et pour être honnête le seul souvenir concret que j’en avais était la première nouvelle. Par contre, en le relisant, j’ai remis des titres sur des « empreintes », des sensations qui trottaient dans un coin de ma tête assez régulièrement sans savoir d’où elles me venaient.

Serpentine se compose de dix nouvelles, fantastiques, on l’a dit. Les atmosphères sont plutôt variées : salon de tatouage, ville de nuit, métro, restaurant grec, maison de famille, aire d’autoroute… Les tons le sont également, même si la plupart des nouvelles tournent autour de la mort, qui tient presque lieu de fil conducteur.

Mélanie Fazi a une très belle écriture, et sait parfaitement construire des ambiances en peu de pages, et qui parlent assez vite au lecteur, qu’il soit familier du lieu ou pas. Sur quelque chose d’aussi étranger que le salon de tatouage de Serpentine, on croirait en avoir déjà visité un, et on sentira immédiatement le coté « véritable » du métro en lisant le Petit théâtre de rame.

Le fantastique des nouvelles est d’un genre plutôt léger et peu explicite, si bien qu’on se demande toujours s’il y a fantastique ou si les protagonistes sont juste fous, ce qui ouvre la voie à des lectures et à des interprétations très différentes selon qui tient l’ouvrage.

Au risque de refaire à ma sauce la préface de Michel Pagel (et accessoirement de paraphraser Maitre Yoda), on trouve dans ces nouvelles ce qu’on y apporte, parce qu’elles ont tendance à évoquer quelque chose au lecteur. J’ai été surprise de la quantité de fois où les gens ont fait la comparaison nouvelle/expérience personnelle sur le forum.

Certes c’est plus facile à faire que pour une histoire de voyage dans l’espace ou de quête pour détruire un anneau maléfique dans un monde imaginaire, mais tout de même, je trouve que c’est une belle réussite d’arriver comme ça à interagir avec le lecteur… Je pense notamment que je ne regarderais plus jamais les aires d’autoroute de la même façon, grâce à Nous reprendre à la route.

Serpentine a donc été une (re)lecture très agréable, surtout que ça m’a permis de partir dans des élucubrations pas possibles dans cette chronique. Il faut dire que ça a réveillé mon goût pour la nouvelle, manque de bol, j’ai omis de faire le plein de recueils à la bibliothèque. Il va me falloir remédier à ça…

Avis des autres Atuaniens : Acr0, Daenerys, El Jc, Julien, Lelf, Olya, Sherryn, Spocky, Tigger Lilly, Tortoise, Zahlya

vendredi 28 mai 2010

A la pointe de l'épée - Ellen Kushner


« Que le conte de fées commence donc par un matin d’hiver, sur une unique goutte de sang fraichement tombée sur l’ivoire de la neige : une goutte aussi vive qu’un rubis nettement taillé, vermeille comme une unique tache de clairet sur un jabot de dentelle  »

C’est assez rigolo, parce qu’alors que je cherchais commencer cette chronique, je me suis retrouvée à feuilleter la Cartographie du Merveilleux qui parlait d’A la pointe de l’épée. A l’époque pas encore traduit, on y trouvait le même extrait mais avec une autre traduction sans doute fait maison :

« Que le conte de fées débute un matin d’hiver, alors, avec une goutte de sang nouvellement tombée sur l’ivoire de la neige : une goutte aussi brillante qu’un rubis bien taillé, rouge comme une tache isolée de clairet sur une manche de dentelle. »

Du coup, je tiens à commencer par féliciter Patrick Marcel pour son boulot de traduction, parce qu’il a clairement su retranscrire le ton très particulier du texte. Et cela a son importance pour ce roman.

A la pointe de l’épée nous emmène visiter une ville sans nom, où l'on distingue deux quartiers : les Bords d’Eau, ancien quartier noble mal-famé, à la limite de la Cour des Miracles, et la Colline, où vivent désormais les Nobles. Cette ville se situe dans un état oligarchique italianisant.

La principale caractéristique qui nous intéresse est que pour régler leurs différents d’honneur, les nobles peuvent faire appel à des intermédiaires, les bretteurs qui se battent en duel à leur place. Très pratique comme système, il vous suffit d’envoyer un bretteur se battre contre votre ennemi, qui lui-même enverra un remplaçant, et au final la question est réglée et personne (d’important) n’est mort.

Voilà les bases de l’univers, quand à l’histoire, elle implique un bretteur, bien évidemment, un certain Richard Saint-Vière, de loin le meilleur de sa profession, qui va se retrouver au cœur de complots de lords et de duchesses, l’idéal pour mettre un peu d’animation dans le train-train quotidien.

Pour résumer le livre, il suffit d’en revenir à son sous-titre : un mélodrame d’honneur. N’allez pas chercher plus loin. Il y a du drame au sens théâtrale du terme (et du théâtre tout court), du mélo juste ce qu’il faut, et des questions d’honneur. Une intrigue fort sympathique au demeurant, mais ce n’est pas forcément ce qui porte le roman. Il faut plutôt regarder de plus près l’ambiance et l’écriture.

Le roman d’Ellen Kushner se rattache à la fantasy maniériste (ou fantasy de manières), terme qui peut inquiéter quand 1) on déteste le maniérisme en Histoire de l'Art et quand 2) la dernière fois qu’on l’a entendu c’était pour Jonathan Strange & Mr. Norell de Susanna Clarke, qui était certes très beau mais aussi très chiant.

A la pointe de l’épée est aussi un très beau roman très « littéraire », mais il n’est pas chiant, parce que l’intrigue est plus mouvementée, les personnages plus attachants (ou à défaut plus intrigants), et que le roman ne fait « que » 400 pages.

L’écriture est précieuse (tout le roman n’est pas écrit comme le passage cité plus haut, mais cela arrive souvent), et nécessite pas mal d’attention, surtout dans les premières pages, lorsqu’on n’y est pas accoutumé. Ellen Kushner a notamment une façon très particulière de voler d’un personnage à l’autre, basculant le point de vue lorsqu’on ne s’y attend pas, ce qui peut surprendre au premier abord.

Elle tisse avec ses mots une ambiance de XVIIe siècle assez délicieuse. Si vous avez vu (et aimé) tous ces films en costume d’époque Louis XIV/Louis XV, avec ces complots de Cour, ces faveurs qui se gagnent et se perdent, ces dialogues extrêmement maitrisés sur lesquels toute personne est jugée, vous aimerez A la pointe de l’épée qui en déborde. Je n’arrive pas à mettre le doigt sur un titre précis, mais pendant ma lecture j’ai vu défilé pas mal d’images de ces films, tant l’illusion était parfaite.

A coté de cette très belle performance, c’est peut-être l’intrigue qui pêche un peu sur la fin. Après des visites passionnantes de la ville (entre salons huppés et ruelles sombres), des duels de mots et d’épées, la découverte de personnages bien particuliers (Alec, Richard, Michael), on regrettera qu’elle traite le destin de certains un peu trop rapidement.

Cela n’enlève rien au plaisir de la lecture, surtout quand on sait qu’Ellen Kushner a écrit deux autres romans dans cet univers, que j’espère bien voir un jour traduit en français. En attendant, il y a toujours moyen de relire Thomas le rimeur, son autre roman disponible en français.

mardi 25 mai 2010

L’instinct de l’équarisseur - Thomas Day


Après celui-là, promis, je ne parlerais plus de Sherlock Holmes ! Je devrais déjà en avoir fini d’ailleurs, sans un article de Lord Orkan Von Deck parlant de ce roman. Comment résister à une relecture façon steampunk de Sherlock Holmes ?

L’instinct de l’équarisseur – Vie & mort de Sherlock Holmes, de son titre complet, est une réécriture complètement délirante du célèbre détective de Baker Street. On découvre en effet dès les premières pages que les aventures qu’écrit Arthur Conan Doyle sont en fait inspirées des faits d’arme de Sherlock Holmes et du Dr Watson, qui existent réellement, mais dans une dimension parallèle, où Londres s’appelle Londen.

Ce Dr Watson étant un génie inventeur, il a mis au point un appareil permettant de voyager dans le temps et dans les dimensions parallèles, et est un jour aller dénicher notre Arthur Conan Doyle à nous pour le convaincre d’écrire les mémoires de son ami Holmes. Du coup, il embarque régulièrement l’auteur dans son monde à lui pour l’inviter à suivre leurs péripéties.

Arthur Conan Doyle n’a raconté cependant qu’une vérité bien qu’approximative, puisqu’à Londen, Sherlock Holmes n’est pas tant un détective qu’un assassin à la solde de la Reine Epiphany de la Monarchie Libertaire Britannique, chargé de résoudre à sa façon les mystères insolubles qui menacent le pays. Sherlock Holmes, mais en pire, ça pourrait être un sous-titre.

Le Londen (et le reste du monde) dans lequel il évolue est fort différent du Londres du XIXe siècle, puisqu’une espèce non humaine, les Worsh, venus d’on ne sait pas trop où, a permis à l’Homme de progresser technologiquement bien plus vite que chez nous. Décidément, Arthur Conan Doyle nous a caché bien des choses. Il aurait pu être le nouveau Jules Verne !

Dès les premiers chapitres, on comprend bien que Thomas Day livre ici un hommage décalé et délirant du détective. Arthur Conan Doyle se retrouve bien tôt embarqué à bord d’un side-car (au sens propre), pour accompagner Sherlock Holmes et de Watson dans leur chasse à Jack l’éventreur.

L’histoire est jouissive et délirante dans la plus pure tradition steampunk (qui aime à confronter les auteurs du XIXe et leurs créations décidément). Sur un rythme assez haletant, on croisera donc une foultitude de personnages historiques (Jack London, Jack l’éventreur…) ou littéraires du XIXe, évoluant dans un univers complètement uchronique bourré de technologies folles !

On sent que l’auteur s’est beaucoup amusé à tout mélanger, mais également à réécrire tout Sherlock Holmes (qu’il a fort bien étudié) à sa sauce. Outre ses méthodes d’investigation qu’il pousse dans leurs derniers retranchements, il retourne certains éléments (ici c’est Holmes l’homme marié et Watson le célibataire endurci), ajoute sa propre interprétation à certains mystères laissés en suspens, et met en scène bien plus spectaculairement l’antagonisme Holmes/Moriarty (qui n’est plus juste un prétexte à tuer SH mais un vrai génie du mal).

Autant dire que c’est un véritable petit délice à dévorer, et en plus, c’est drôle. Je suis obligée de le reconnaitre, oui, je me suis retrouvée à rire bêtement dans le métro à lire les péripéties de nos héros ivres morts en train de fabriquer un drapeau blanc à bord d’un dirigeable, parce que par empathie avec les personnages, le lecteur lui-même finit un peu pompette.

Et encore, je ne vous ai pas parlé du restaurant. Ou de Sigmund Freud. En fait je crois que le dernier tiers du roman a été écrit sous LSD, c’est la seule explication que je vois parce que c’est juste complètement fou. Mais génial.

Le seul reproche que je ferais au roman, c’est la deuxième partie, l’entr’acte, qui délaisse les héros habituels pour mettre en scène un personnage plutôt intéressant, mais qui disparait ensuite complètement de vue, et dont on comprend du coup mal les actions sur la fin… D’ailleurs toute cette partie qui promet se révèle avoir un impact assez faible sur la suite, c’est bien dommage.

Mais ça n’en reste un bon roman bien divertissant comme on les aime, et moi qui n’ai jamais aimé plus que ça mes autres lectures de Thomas Day, je suis en train de me réconcilier avec lui !

samedi 22 mai 2010

Robin des bois - Ridley Scott


Ca pourrait être pratiquement être la suite de Kingdom of Heaven (intéressant, surtout dans sa director’s cut) qui prenait fin sur le départ de Richard Cœur de Lion pour la Terre Sainte. Robin des Bois commence avec son retour, alors qu’il traverse la France à grand renforts de pillage pour retourner en Angleterre.

Sauf que le héros n’est pas Richard Cœur-de-Lion mais Robin Longstride, archer de son état, et promis à un bel avenir à en juger par le titre du film : devenir le légendaire Robin des Bois, vous savez, celui qui volait aux riches pour donner aux pauvres. Ridley Scott aux commandes d’un film historique, Russell Crowe dans le rôle titre, comment résister ?

J’avoue n’avoir vu sur le sujet de Robin des Bois que le Disney, et encore, c’était il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine. Du coup, je vous épargnerais les sempiternelles comparaisons entre les différentes interprétations du personnage.

Le parti-pris de faire « réaliste » est plutôt intéressant, c’est sûr. Je mets des guillemets parce que ça reste assez propret comme Moyen-Âge, cependant on trouvera son quota de personnages historiques (Aliénor d’Aquitaine, Jean sans Terre, et Philippe-Auguste si je ne m’abuse), et des décors qui font très époque. La Grande-Bretagne a l’air drôlement sauvage, noyée qu’elle est sous les forêts

Là-dessus, on a une bonne histoire de quidam devenu héros, avec son lot de péripéties, de grande batailles héroïques, de discours galvaniseurs de troupes, de side-kick comiques, de méchant joué par Mark Strong (trois films depuis le début de l’année, 3 bad guys, décidément !) et de romance avec la belle (mais pas toujours très commode) Marianne.

Le sarcasme pointe sous cette description, veuillez m’en excusez. J’ai passé un très bon moment devant mon écran, et je me suis même surprise à ne pas voir le temps passer, ce qui pour un film de 2h20, vaut la peine d’être noté.

J’ai apprécié les parties les plus « Robin des Bois » : Frère Tuck, l’attaque en pleine nuit d’un chariot de grains, le sheriff de Notthingham. J’ai bien aimé aussi le fait de donner un passé historique au personnage de Robin des Bois, d’autant plus que ce n’est pas trop mal amené, pourvu qu’on laisse sa conscience d’historien au placard et qu’on oublie quelques grosses ficelles. Les batailles sont plutôt chouettes, et la musique signée Mark Streitenfeld s’écoute fort bien, et porte agréablement l’ensemble.

Bref, c’est un bon moment de ciné, mais… le problème c’est qu’on a un peu l’impression de revoir Gladiator ou Kingdom of Heaven. Rappelez-vous, le héros humble et courageux, qui lutte pour la liberté, face à un tyran complètement fou… Même histoire, mêmes grandes batailles, même discours, mêmes musiques épiques… tout cela se répète un peu. Ca n’empêche pas de passer un bon moment, mais la lassitude guette, à force.

Et puis, j’ai passé un long moment à hésiter entre le fou rire et l’exaspération face au traitement particulièrement subtil des méchants de ce film : les français. Ah mon dieu qu’ils sont vils, méchants, cruels, même qu’ils ne sont pas fichus de descendre d’une barge sans se noyer, et pire encore, qu’ils mangent des huitres… mais où va le monde, je vous le demande ?

Bref, Robin des Bois est un bon film à spectacle, plutôt sympathique, et à voir à mon avis entre amis, avec un gros paquet de M&M's, parce qu’il y a définitivement du potentiel à commentaire sarcastique sur certains passages.

jeudi 20 mai 2010

Un peu de ton sang - Theodore Sturgeon


Je suis en train de devenir doucement accro à Theodore Sturgeon. Après un Cristal qui songe qui m’avait déjà impressionné, je suis tombée sur Un peu de ton sang, un recueil composée de la novella éponyme de 150 pages, qui est un délice à consommer sans modération, et d’une nouvelle plus courte de 50 pages, Je répare tout, en guise de collation.

Un peu de ton sang emmène (littéralement) le lecteur visiter les dossiers d’un psychiatre, le Dr Philip Outerbridge, qui s’est vu confié un bien étrange cas : un certain George Smith, soldat de son état, interné comme fou dangereux pour avoir frappé son supérieur hiérarchique qui avait lu son courrier, sans que personne n’en connaisse la raison exacte.

L’histoire se construit au fil des documents qui nous sont présentés : d’abord avec un récit rédigé par le patient, puis avec de la correspondance, des transcriptions d’entretien. A l’exception de l’introduction et de la conclusion qui s’adressent au lecteur, il n’y a pas vraiment de narration.

La construction en elle-même n’est pas courante, mais le contenu également. Vu le titre, vu l’image en couverture (qui m’évoque terriblement Entretien avec un vampire pour ma part), on s’attend à du fantastique. A la rigueur à la de la SF, vu la collection. Mais que nenni mon ami, l’horreur ici est purement psychologique.

Je vends la mèche sans vergogne, mais c’est pour cette raison que je suis tombée amoureuse de cette novella. Tout est dans la suggestion et dans l’évocation d’une nature humaine qui n’a pas besoin de surnaturel pour susciter l’angoisse et le malaise. Pire (mieux) encore, c’est finalement au lecteur de décider du caractère horrifique de l’histoire.

Dans la facture, on est très proche de ce que peut écrire un Daniel Keyes. Le méli-mélo de lettres et de récits, ainsi que cette plongée dans cet étrange univers qu’est l’esprit humain quand il devient fou évoque les 1001 vies de Billy Milligan. Et il est difficile de ne pas penser à des Fleurs pour Algernon, quand on lit le récit de George Smith où l’écriture se plie vraiment à la pensée du personnage (avec une narration à la 3e/1ère personne fort étrange). Rien que pour ça, cette lecture est un moment de plaisir.

A cela, il faut ajouter la griffe de Sturgeon, qui parsème son texte de passages poignants sur la solitude, la différence, les relations entre les personnes, comme celui-ci qui ouvre le récit de George : « Il n’y eut qu’une seule raison à ce mariage : elle était la seule fille qui lui eût jamais parlé. Ils partagèrent une seule chose : la solitude. Ils furent seuls ensemble au lieu de l’être chacun de leur coté ».

A la suite de ce petit bijou, Je répare tout est une nouvelle plus convenue, toujours dans le registre de l’horreur psychologique, qui raconte l’histoire d’un homme, semble-t-il un peu l’idiot du village, qui trouve une femme agonisante devant la porte. Il la ramène chez lui et décide de la sauver…

Prenante, elle aussi, on y retrouve une écriture efficace qui ne s’embarrasse pas de chichis, et une belle interrogation sur la différence et la solitude, sans pour autant renier le coté divertissant d’une histoire à chute qui est autant angoissante que rigolote, selon comment on la regarde.

Résultat, je suis sous le charme de Sturgeon, et je ne saurais que trop vous recommander la lecture de ces deux nouvelles. Quant à moi, je m’en vais dénicher les Plus qu’Humains sous peu…

samedi 15 mai 2010

Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec - Luc Besson


Rien que pour voir le film, cela a été une aventure. Jour férié plus offre promotionnelle, voilà que ça attire les foules, et la séance souhaitée s’est révélée bien évidemment complète. Mais bon, ce qui est classe, à Paris, c’est que si on a pris le temps de jeter un œil aux autres cinés, on sait où aller pour ne pas avoir à attendre deux heures le film…

Adèle Blanc-Sec est une BD de Tardi, que j’ai lu dans ma tendre jeunesse mais dont je ne garde que peu de souvenirs, sinon que c’était bizarre. Je ne vous en parlerais donc pas. Par contre, je peux vous parler du film, sorti il y a peu sur nos écrans, et qui semblerait faire un panachage des différents tomes.

En 1912, Adèle Blanc-Sec est une journaliste dont les récits de voyage et d’aventure se vendent plutôt bien. Lorsque le film commence, elle joue à Indiana Jones en Egypte, à chercher la tombe du médecin de Ramsès II pour sauver une personne qui lui est chère. Pendant ce temps, à Paris, un œuf de dinosaure éclot au muséum d’histoire naturelle, et un ptérodactyle sème la panique dans la capitale…

Les aventures extraordinaires est, comme son titre l’indique, un film d’aventure, plutôt plaisant à regarder, qui brasse allègrement dinosaures, momies et science ésotérique avec un bon paquet de cliché, sur fond de Paris belle-époque.

C’est ce qui est chouette, dans ce film, l’ambiance. La reconstitution de l’époque est plutôt bien fichue (et convient très bien à mes fréquentes incursions steampunk) : costumes, moyens de transport, et Paris en elle-même. On appréciera de voir Montmartre et ses moulins, et le Trocadéro sans son béton, entre autres décors.

L’histoire n’est pas déplaisante, d’autant plus que le personnage d’Adèle est plutôt rigolo : langue de vipère, sans gêne, prête à tout pour arriver à ses fins… Ses péripéties (et celle des seconds rôles, tous aussi excellents les uns que les autres) sont plutôt drôles à suivre, et on ne s’y ennuie pas. Coté humour, beaucoup de comique de répétition qui fonctionne pas trop mal, et quelques trucs de fous comme le physicien nucléaire.

Mais j’avoue être sortie assez mitigée de la salle, avec l’image d’un film qui a tendance à s’éparpiller. Pourquoi par exemple donner une némésis (façon Indiana Jones) à Adèle, qui n’apparait que deux fois dans le film ? J’ai vraiment du mal avec ce mélange de style américano-français, ça ne va juste pas ensemble. Le pire est à mon avis le volet « drame personnel » de la vie d’Adèle. Louise Bourgoin, qui incarne le personnage, a bien du mal à faire passer une quelconque émotion, si bien que ces scènes tombent complètement à plat.

Surtout qu’un personnage comme Adèle Blanc-Sec fonctionnerait fort bien sans la nécessité de se trainer de douloureux souvenirs. Après tout, on n’a pas besoin de super-pouvoirs et d’un oncle assassiné pour devenir super-héros, alors on devrait pouvoir devenir aventurière en claquant des doigts !

Bon après, il y a des détails que je n’ai pas aimés mais qui ne dérangeront que moi. Comme l’ordonnance des salles au Louvre. Et l’état du Sphinx de Gizeh. Mais bon, je venais juste de passer deux jours à faire des recherches sur le dit Sphinx pour arriver à dater une photographie le représentant en fonction de son ensablement. Forcément que ça saute aux yeux qu’il n’est pas dans son état de 1912, tout désensablé qu’il était dans le film ! Comment ça tout le monde s’en fiche ?

Tout ça pour dire que le film n’est pas mauvais, mais il n’est pas non plus génial. C’est un divertissement grand public (oui c'est un film de Luc Besson, me direz-vous), et rien de plus. Et la musique se laisse écouter, c’est toujours ça de pris.

jeudi 13 mai 2010

Le royaume des Devins - Clive Barker


Ponctuellement, je continue à explorer l’univers de Clive Barker. Je ne savais pas trop par quoi continuer après le voleur d’éternité et Abarat, vu que tous prenaient la forme de cycle à nombreux volumes uniquement dispo en grand format à la bibliothèque… et puis, Folio SF a réédité le Royaume des Devins, dont le nom m’était familier. Du coup, je suis partie pour 900 pages d’aventure… autant pour la tentative d’éviter les pavés !

« Rien ne commence jamais.
Il n’existe aucun instant initial ; aucun mot ni aucun endroit d’où cette histoire ni aucune autre ne puisse jaillir. (…)
Il doit donc être arbitraire, l’endroit où nous choisirons de nous embarquer. »

Ainsi commence le premier chapitre du Royaume des Devins, qui choisit d’aborder l’histoire par le cas de Cal Mooney, petit fils de poète, qui ouvre la porte du pigeonnier et voit s’envoler un de ses pigeons. Ensuite, tout devient complexe. Il croise la route d’un tapis magnifique, sujet de toutes les convoitises, gardé par une vieille femme, Mimi, désormais au seuil de la mort à l’hôpital. Du coup, elle a appelé sa petite-fille, Suzanna, qui ne comprend pas bien ce qu’elle vient faire là. Mais elle croise la route de Cal, mais également de la sinistre Immacolata, accompagnée de ses sœurs mortes et de Shadwell le Vendeur.

Tout tourne autour de la Devinité (ou le Royaume des Devins, si vous préférez), qui rassemble tous les sorciers, magiciens et autres êtres étranges, et qui, pour fuir un adversaire invincible, le Fléau, s’est dissimulé -petites parcelles de terrains et personnes-, sous la forme d’un tapis, la Fugue. Un magnifique tapis, sujet de toutes les convoitises.

Vous êtes perdus ? Je ne suis pas sûre qu’il soit possible de résumer ce livre, ou même d’en donner un aperçu digne de ce nom. Il n’est d’ailleurs pas aussi facile à lire que les œuvres jeunesse de Clive Barker, mais il mérite qu’on s’accroche aux cent voir deux cents premières pages.

Le début en effet éclaire très vite pourquoi on qualifie Clive Barker sur la 4e de couverture de « grand maitre de l’horreur et du fantastique contemporain ». Oui, ce type sait vraiment écrire de l’horreur. Je suis en général relativement peu sensible au genre, mais je vous avoue que certains passages au début du livre m’ont donné la nausée, et que certains personnages (Immacolata, Shadwell, Hobart) m’ont presque filé carrément la chair de poule. Ils sont juste flippants, et il n’est pas toujours facile d’expliquer pourquoi.

Le roman bascule ceci dit assez vite dans la fantasy (tout en gardant un soupçon horrifique), avec la découverte de la Fugue, véritable petit Pays des Merveilles qui ne laisse pas indifférent. Clive Barker nous fait visiter au gré d’une intrigue, qui comme dans Abarat est parfois juste un prétexte à voir les choses.

L’histoire est classique, mais elle sait se faire envoûtante car elle fait cohabiter le monde « réel », plus proche du lecteur, où se déroule une bonne partie de l’intrigue, et les enchantements (les extases, devrais-je dire plutôt) de la Fugue, les archétypes de la fantasy (quand un des protagonistes décide qu’il veut régner sur la Fugue façon grand méchant maléfique) et des choses plus en subtilité.

Les deux héros principaux sont plutôt attachants, occupés à se chercher eux-mêmes sans trop savoir ce qu’ils sont. J’ai surtout beaucoup aimé suivre Cal Mooney, étrange personnage un peu perdu dont les humeurs sont vite contagieuses : on sera fasciné comme lui par la Fugue, on ressentira un manque amer lorsqu’elle disparaitra à nos yeux, et on sera prêt à tout pour la retrouver.

Le roman est un peu long ceci dit, surtout qu’on a l’impression de revenir zéro à quelques reprises. J’avoue avoir eu du mal à certains passages et m’être parfois mélangée les pinceaux entre les personnages, vu que je n’ai pas lu le livre d’une traite. Mais ça reste une lecture fascinante, qui donne envie de lire encore autre chose de l’auteur, surtout que le Royaume des Devins n’est « qu’un » de ses premiers romans…

mardi 11 mai 2010

Imeni ou la résurrection d’Osiris – Isabelle Dethan


Je ne suis pas une grande lectrice de BD, et j’en achète encore moins, à l’exception de cette série qui occupe mes étagères depuis quelques années. J’avais parlé du tome précédent, d’ailleurs c’est tout juste si mon introduction n’est pas la même… si ça continue je vais copier directement la présentation, on gagnera du temps !

Sur les terres d’Horus est une série en huit tomes, celui-ci étant le dernier. Elle met en scène Khaemouaset, un des nombreux fils de Ramsès II, et sa scribe Meresankh, qui mènent des enquêtes pseudo policières pour mettre au jour des complots, des trafiquants d’or, des sectes maléfiques…

Quand ils ne sont pas coincés dans leurs problèmes de cœur dignes d'un Harlequin. A l’échelle d’un tome, ça ne se voit pas trop, sur la série c’est flagrant. Mais tout le monde aime ça, non ? Et puis ils ont le droit d’être nobles et dramatiques, on est en Egypte ancienne !

Bref c’est une chouette série que j’apprécie bien. Les histoires sont sympathiques, et les dessins superbes. C’est définitivement le point fort de cette BD, avec ses dessins très aquarelle extrêmement documentés. De ce que je connais de la période, c’est drôlement réaliste.

Et quand est-il de ce dernier tome ? Imeni ou la résurrection d'Osiris est une bonne conclusion. La trame se contente de renouer les fils ensemble, mais ce n’est pas désagréable même s’il manque presque une intrigue secondaire. Pour un album de milieu de série, ça serait un peu léger, mais là on se laisse allés à cette histoire où tous les vieux amis (et ennemis) réapparaissent (je regrette cependant qu’on ait pas revu certains, justement).

Question dessin, le style évolue. Cela m’avait frappé sur le tome précédent, on s’y habitue finalement. Sans que le terme soit réellement adapté, je lui trouve un petit coté expressionniste. Moins précis, moins doux, plus apte à faire passer des émotions même s’il perd un peu en beauté dans l’affaire.

Ce n’est pas le meilleur tome de la série, mais il reste très agréable à lire et à dévorer des yeux. Si l’occasion vous en prend, n’hésitez pas à jeter un œil à cette belle BD qui ravira tous les fondus d’Egypte, et de l’Antiquité en général… en plus, deux des tomes se passent à Babylone, ce qui est du pur bonheur (pour les amateurs).

mercredi 5 mai 2010

Janua Vera – Jean Philippe Jaworski


Avec le sens inné de l’illogisme qui me caractérise, ma chronique sur Janua Vera arrive après celle de Gagner la Guerre, qui en est pourtant la suite (au moins d’une des nouvelles).

Non je n’ai pas perdu la tête, c’est juste qu’il s’agit de la lecture du mois d'avril sur le Cercle d’Atuan, et que ça me parait une bonne occasion d’actualiser une des brèves de mon ancien blog (encore que je me surpasse, j’avais écrit trois paragraphes à l’époque !) pour fournir quelque chose d’un peu plus construit, parce que Janua Vera à l’époque de sa sortie m’avait déjà fait grande impression, et cela se confirme à la relecture.

Mais revenons aux bases. Janua Vera est un recueil de nouvelles de fantasy sorti en 2007 aux Moutons électriques, signé par un certain Jean Philippe Jaworski dont personne n’avait entendu parler jusque là ou presque… en tout cas, pas moi. Le Cafard Cosmique en a fait une telle éloge à l’époque que je l’ai presque acheté les yeux fermés…

Janua Vera se compose, pour la première édition que je possède, de sept nouvelles, qui ont la particularité de se dérouler toute dans le même univers du Vieux Royaume, mais avec des registres et des styles très différents (voir complètement opposés).

La première nouvelle, Janua Vera, évoque le destin du Roi-Dieu Léodegar avec une dimension épique mythologique. Mauvaise Donne, elle, suit les pas d’une fieffée canaille, Benvenuta Gesufal, qui évolue dans les ombres de Ciudalia, cité d’inspiration vénitienne où l’on pratique les complots et les assassinats avec un talent rare.

On enchaine sur le Service des Dames, qui passerait presque pour un roman de chevalerie médiéval, Une offrande très précieuse, la nouvelle sans doute la plus difficile à cerner, et le Conte de Suzelle, histoire dure et émouvante qui vaut à elle seule tout le recueil.

Enfin, Jour de Guigne se rapproche définitivement de Pratchett en racontant les péripéties d’un scribe frappé d’une malédiction, et Le confident offre une évocation troublante d’une des religions du Vieux Royaume, le culte du Desséché.

Sept nouvelles très différentes, comme vous pouvez le constater, du coup on accrochera plus ou moins. Pour ma part, le Conte de Suzelle est ma favorite hors compétition, mais j’aime également beaucoup les autres. Il n’y a guère que Le confident et Une offrande très précieuse qui m’attirent moins, mais c’est plus parce que j’ai du mal à les appréhender qu’en raison d’une qualité moindre.

Parce que Janua Vera est un recueil de qualité. En plus d’un concept de base (des nouvelles complètement différentes pour un même univers, je n’ai pas beaucoup –voir aucun- autre exemple en tête) qui fonctionne à merveille, il faut ajouter une très belle écriture. Jean-Philippe Jaworski sait manier les mots, et lire ses textes est un véritable délice.

Pour Gagner la guerre, j’avais salué son style bien particulier qui faisait toute la saveur du roman. Pour Janua Vera, même si je trouve l’écriture un chouia moins accomplie (en regard du roman, c'est-à-dire que cela reste très beau), je ne peux qu’admirer sa capacité à faire le grand écart entre différents registres, du burlesque au drame, de l’épopée du héros à la vie d’une personne « banale »…

C’est un peu comme s’il pliait les mots pour qu’ils conviennent à l’histoire qu’il raconte. Je ne sais pas si ce que je dis est clair, mais en tout cas, c’est cela qui fait tout l’intérêt de ce recueil, dont je saurais que trop en conseiller la lecture (ainsi que du roman qui suit).

Par contre, choisissez bien votre version. La première édition qui est la mienne ne contient que sept nouvelles. Lorsque le roman a été édité en poche, une huitième nouvelle a été ajoutée. Les Moutons électriques ont ressorti récemment une édition augmentée, avec cette fois-ci neuf nouvelles, une préface de Benvenuto himself, et des annexes…


Peut-être pas indispensable, mais quand on adoré ce recueil, cela fait rêver…