mardi 29 mars 2016

Quatre chemins de pardon – Ursula K. Le Guin


Il y a eu deux ans, j’avais eu l’occasion de visiter dans le recueil L’anniversaire du monde les deux planètes Werel et Yeowe, candidates à l'entrée dans l'Ekumen. Je n’avais pas tout compris à l’époque, ce qui est un peu normal vu que j’avais zappé LE livre qui parle d’elles. Cette méprise est désormais réparée grâce à Quatre chemins de pardon, recueil de nouvelles qui se consacre uniquement à ces deux mondes, et qui m’offre l’occasion de visiter une fois de plus l’incroyable univers de Hain (ou de l'Ekumen selon sur quelle édition française vous tombez) sur lequel écrit Ursula K. Le Guin depuis tant d’années.

Dans ce recueil composé de quatre nouvelles, nous visitons donc un système solaire doté de deux planètes habitables : Werel, qui habite depuis longtemps des humains et Yeowe, qu’ils ont ensuite colonisé. La particularité du coin : l’esclavage, fondement de la société porté au sommet de l’absurdité économique lorsque des « mobiliers » (des esclaves donc) commencent à appartenir à des compagnies. Et cela ne plaît pas trop à l’Ekumen, qui se garde bien d’intervenir mais peut néanmoins donner quelques idées…

La présentation géologique, historique et sociologique de ces deux mondes est faite dans les appendices en fin d’ouvrage, qui sont passionnants à lire pour arriver à se situer (d’ailleurs je les ai lu après la première nouvelle, quitte à tout faire dans le désordre autant le faire jusqu’au bout !).

Après (ou avant) quoi on peut parler des nouvelles à proprement parler, qui permettent par le biais de différents points de vue de visiter ces deux mondes.
  • Trahison nous offre le regarde d’une vieille ermite qui permet de faire connaissance avec Yeowe par le biais de ses réflexions. C’est le genre d’histoire tranquille où on devrait s’ennuyer ferme, et comme toujours avec Ursula K. Le Guin ce n’est absolument pas le cas !
  • Jour de pardon nous emmène visiter une contrée de Werel par les yeux d’une envoyée de l’Ekumen un peu trop franche. Intéressant même si j’ai trouvé la fin un peu bâclée ;
  • Un homme du peuple nous donne je crois bien l’unique aperçu de la planète Hain, et de ses contrées aux coutumes archaïques (mais qui ont un petit quelque chose de fascinant qui rappelle La vallée de l’éternel retour parfois), avant de venir aux femmes de Werel et de Yeowe qui ont été oubliées lors de la révolte des esclaves ;
  • Libération d’une femme se résume par son titre, avec ce parcours d’une femme née esclave qui découvre la liberté et les livres, sans que l’histoire ne verse jamais dans le pur pathos.

Tous ces récits ont l’air indépendant, mais on découvre petit à petit les liens entre eux, et il n’y a finalement que le premier qui est vraiment séparé des autres (ce qui n’est pas plus mal vu qu’il ouvre le recueil). Si les nouvelles n’avaient pas été publiées séparément auparavant, on pourrait presque penser à une sorte de roman chorale.

Sinon ce recueil est du pur Ursula Le Guin : héros atypiques qui sont plus dans l’observation que dans l’action, soin apporté aux descriptions des sociétés, rythme lent et belles phrases sur lesquelles on laisse tranquillement porter… C’est une SF étrangement calme, mais très riche et très agréable à lire. Je ne suis pas sûre que tout le monde accroche (et ce recueil n’est peut-être pas la meilleure porte d’entrée), mais pour ma part je suis sortie ravie de cette lecture.

Le seul reproche que je ferais est sur les conclusions qui m’ont souvent semblé un peu expédiées sous forme d’un happy-end à la va-vite… sauf que l’auteure se fend d’une pirouette à ce sujet :

(Vu que c’est la conclusion d’une nouvelle je vous laisse choisir de la lire ou non, je ne pense pas qu’elle révèle quoi que ce soit mais c’est toujours un peu osé de citer la fin)

« Je l'ai conclue, comme tant d'histoires, par l'union de deux personnes. Qu'est-ce que l'amour et le désir face aux révolutions de notre époque, face aux espoirs et aux cruautés infinies de notre espèce ? Une petite chose. Mais une clé est une petite chose auprès de la porte qu'elle ouvre. Perdez la clé, et peut-être la porte ne s'ouvrira-t-elle jamais. C'est dans nos corps que nous perdons ou découvrons la liberté. C'est dans nos corps que nous acceptons ou abolissons l'esclavage. »
Voilà qui clôture (pour moi) le cycle de l’Ekumen / Hain que j’aurais définitivement lu dans le désordre le plus complet (sans que cela pose réellement problème).

Pour ceux qui voudraient se lancer dans l’aventure, j’ai reconstitué l’ordre de parution originel (qui me paraît le plus cohérent que la chronologie interne de l’univers pour des raison d'écriture) :
Les trois premiers ne sont pas indispensables (et les nouvelles incluses dans le Livre d’or ne sont pas les plus marquantes non plus, sauf le Collier de Semlé qui est depuis devenu l'excellent prologue du Monde de Rocannon), mais à partir de La main gauche de la nuit lancez-vous, c’est un sacré univers de science-fiction qui s’ouvre à vous !

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Item 1 : Lire une oeuvre de SF (et uniquement de SF) écrite par une femme

(je n'aurais pas rêvée meilleure représentante pour cet item, on n'utilise pas le terme grande dame de la SF pour rien quand on parle d'Ursula K. Le Guin)

mercredi 16 mars 2016

Dragon de glace - George R.R. Martin


Après avoir goûté au G.R.R. Martin de science-fiction dans Le voyage de Haviland Tuf, je change un peu de domaine avec ce sympathique recueil, Dragon de glace, plutôt orienté fantasy/fantastique. Une excellente occasion de voir ce que l’auteur de Game of Thrones est capable de faire au format court… et il est plutôt bon dans le domaine, il révèle même quelques surprises.

Dragon de glace, le premier texte, est un conte. Voilà qui est déjà surprenant de la part de l’auteur, qu’on attend pas vraiment dans ce registre. Et pourtant, cette histoire de jeune fille née en hiver et insensible au froid qui noue des liens particuliers avec un dragon souffleur de givre a vraiment tout du récit enfantin (magie mystérieuse, don particulier, rejet des autres, parcours initiatique). Le résultat est vraiment chouette, ce qui me rassure vu que j’ai un peu offert la (magnifique) version illustrée à mon filleul récemment.

Dans les Contrées Perdues met en scène la mystérieuse Alys la grise, une sorcière capable de vous procurer ce que vous désirez le plus, mais avec des conséquences généralement terribles. Pourtant Dame Melange n’hésite pas à la consulter, et Alys la grise part donc à la recherche de ce qu'elle désire, jusqu'aux contrées perdues. Encore un récit prenant à lire qui fleure bon le conte. Je suis par contre forcée d'avouer que j'avais tout oublié une semaine après, contrairement à Dragon de glace.

Tout le contraire de L'Homme en forme de poire, une histoire fantastique à ne pas lire le soir que je ne suis pas prête d’oublier. Je suis sans doute une âme sensible mais qui n'a jamais eu un voisin bizarre et un peu flippant ? Quand personne ne veut écouter vos inquiétudes et que votre vie semble basculer dans l’enfer, difficile de ne pas perdre pied…

Portrait de famille, qui clôture le recueil, est un récit fantastique autour d'un auteur qui s'intéresse plus à ses écrits qu'à sa famille (enfin c'est plus compliqué que cela). Il reçoit un bien étrange présent de sa fille avec laquelle il vient de se fâcher, et voilà qu’il reçoit d’étranges visiteurs. Si j'ai moins accroché à ce texte qu’à L'homme en forme de poire, les questions posées restent intéressantes, et l'ambiance plutôt réussie.

Voilà pour ce petit recueil de nouvelles, court mais de qualité avec deux excellents textes (Dragon de glace et L’homme en forme de poire), et deux autres certes un peu moins marquants mais néanmoins agréables à lire (et encore, je soupçonne que c’est une question d’affinités). Voilà qui donne envie de continuer à découvrir les nouvelles de l’auteur.

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Item 19 : Lire un recueil de nouvelles SFFF (pas de réelle originalité ici, l'occasion fait le larron !)


dimanche 13 mars 2016

Les chutes – Joyce Carol Oates


Rendons d’abord à César ce qui lui appartient, c’est à Tigger Lilly que je dois la découverte de cet excellent roman (et son article est passionnant à lire après lecture, bien meilleur que le mien alors allez le lire !). Il est un peu tombé à point nommé dans ma PàL à un moment où j’avais justement envie de lire autre chose que de la SFFF, ce que j’ai d’autant plus apprécié.

Les chutes est un roman un peu inqualifiable, c’est sans doute ce qui m’a plu dès le début. Est-ce un roman autour d’un lieu ? Une saga familiale ? Une tragédie ? Difficile de choisir, tellement le texte part dans des directions différentes. Une chose est sûre, c’est un sacré morceau de lecture (dans le bon sens du terme).

L’histoire commence en 1950, alors que la première journée de lune de miel d’un couple fraichement marié commence par une tragédie : le mari se suicide en se jetant dans les chutes du Niagara. Ariah, sa jeune épouse, y voit un signe du destin et se considérera comme maudite pour le restant de sa vie, même lorsqu’elle se remariera, même lorsqu’elle aura des enfants.

C’est d’ailleurs Ariah qui tient lieu de pilier central au roman (au même titre que la ville de Niagara Falls, où se déroule l’intrigue). Ce n’est pas toujours son point de vue à elle, mais que ce soit par les yeux de son mari ou de ses enfants, on en revient toujours à elle, personnalité torturée mais étonnamment attachante.

C’est d’ailleurs une impression étrange car le personnage est frappé d’une douce folie (rarement furieuse) qui pourrait la rendre désagréable… mais en même temps qui est tout à fait logique et justifiée. Si bien qu’on admire Ariah, et on se surprend parfois à compatir avec elle, même lorsqu’on la juge butée ou dérangée.

L’autre aspect que j’ai aimé dans Les chutes, c’est la construction. Comme je le disais, on n’a pas affaire à un point de vue unique, et l’auteure n’hésite pas à jouer des va-et-vient, parfois à travers les époques, parfois en sautant d’un personnage à un autre, pour ouvrir un autre pan de l’histoire qui semble totalement déconnecté de ce qui se passait avant.

L’intrigue du coup ne semble pas franchement linéaire, et pourtant tout se rassemble et se recoupe avant la fin, pour donner une conclusion très complète à cette belle galerie de personnages extraordinairement humains.

Bien écrit, superbement construit, avec des personnages magnifiques, Les chutes est un excellent roman que j’ai adoré lire (assez pour prendre le temps de l’avancer en pleine journée le week-end, ce qui n’est guère dans mes habitudes). Je vous conseille donc grandement de prendre le temps de découvrir son ambiance, pendant que je m’en vais explorer le reste de la bibliographie de l’auteure.

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mercredi 9 mars 2016

Sandman intégrale 7 - Neil Gaiman


Et nous voilà arrivés à la conclusion. Enfin techniquement ce n’en est plus vraiment une depuis la sortie de Sandman Overture (prologue à l’histoire qui devrait bientôt arriver en France), mais c’est tout de même avec cette dernière intégrale qu’on met un point final à cet incroyable univers qu’est Sandman. Du coup comme je ne peux décemment pas parler de son contenu sans rien dire de l’intrigue, passez votre chemin si vous n’êtes pas à jour (ou mieux encore, courez acheter/emprunter toute la série, lisez-la et revenez me voir !).

Au menu de ce septième tome : La veillée (tome 10 de la série et best conclusion ever), La dernière histoire du Sandman (qui nécessitait d’être un fan ultime pour pouvoir la lire auparavant), Chasseurs de rêves bis (en version Amano cette fois-ci, sublime) et Nuits d’infinis (anciennement le tome 11, sympathique bonus). En avant pour la présentation détaillée !

La veillée

Dans l’ancienne édition, ce récit s’intitulait « Veillée funéraire », tout un programme donc. La nouvelle traduction fait preuve d’un peu plus de discrétion même si on sait vers quoi on va une fois lu le récit des Bienveillantes. Nous voilà donc partis pour un épilogue en trois parties.

Commençons par le plus long, La veillée à proprement parler. Le Rêve est donc mort, et a été remplacé par une nouvelle incarnation. Mais avant que celle-ci ne prenne officiellement ses fonctions (s’éveille en quelques sortes, il y a un joli double sens dans le titre original The Wake), une cérémonie est organisée à la mémoire du défunt.

Une cérémonie qui se déroule dans le Rêve, et où tout le monde est invité : Infinis, dieux et simples mortels humains et de manière général tous ceux qui ont pu apparaître dans la série. La particularité du récit, c’est le lecteur est également invité : la narration se fait en grande partie à la deuxième personne, ce qui fait qu’on se sent forcément impliqué.

La veillée est à tout point de vue un récit extraordinaire : dans sa narration et sa capacité à rassembler tous les personnages, mais aussi dans ses dessins réalisés par Michael Zulli. Si j’ai bien compris ils n’ont pas été colorisés mais numérisés tels quels, et le résultat est superbe :


(Je vous l’avais bien dit, Sandman mérite qu’on passe outre les dessins des premiers numéros, car on est largement récompensé par la suite !)

Je pourrais vous écrire des pages entières sur ce récit mais cela n’égalera jamais le plaisir que vous aurez à le lire, alors je m’arrête là et je vous laisse apprécier cette extraordinaire conclusion.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais La veillée intègre deux autres récits, comme autant de conclusions alternatives : Exils et La tempête.

Le premier met en scène un sage chinois qui s’égare dans une zone floue. Une fois encore, la narration comme les dessins de John J. Muth sont magnifiques, et l’association des deux est parfaite.

Le deuxième, vous vous en doutez peut-être, nous ramène à Shakespeare et s’offre une très belle mise en abîme sur l’auteur anglais, sa dernière pièce (souvent présentée comme son testament) et le Rêve. Un récit très documenté donc (ayant étudié la pièce au lycée, je me suis régalée de cette façon de la revisiter) mais plus accessible que Le songe d’une nuit d’été (intégrale 2) pour qui ne connaît pas l’œuvre. On retrouve Charles Vess au dessin (comme pour Le songe d’une nuit d’été), ais-je besoin de vous dire que le résultat est merveilleux ?

La dernière histoire du Sandman

Jusqu’à maintenant c’était presque un récit inédit puisqu’il avait été publié dans le recueil des couvertures de Sandman, un bouquin qui a été édité totalement en margé de la série en France chez Reporter. L’ouvrage est fort intéressant à parcourir pour mieux profiter des œuvres de Dave McKean, mais aussi pour les étranges anecdotes qui entourent parfois leur création (il faut vraiment être fan pour vouloir le lire, je vous l’avais bien dit). Urban Comics promet de le rééditer, chic alors !

A part ça La dernière histoire de Sandman est un récit assez anecdotique en lui-même mais fort gaimanien dans cette manière de gommer les frontières entre réel et imaginaire. Je n’en dirais pas plus, c’est une petite lecture sympathique.

Chasseurs de rêves

Je vous avais déjà parlé de la version signée P. Craig Russell intégrée au tome 5, cette fois-ci on a le droit à l’originale, la nouvelle illustrée par Yoshitaka Amano. Je ne vous referais pas le topo, Chasseurs de rêves est juste un petit bijou, et maintenant que j’ai lu les deux versions, je peux vous dire que les sensations ne sont pas les mêmes selon si on opte pour l’illustrateur japonais ou américain !

Nuits d'infinis

La dernière partie de cette intégrale est un peu à part, il s’agit de petites histoires indépendantes publiées bien après la fin de la série, et qui se consacrent chacune à un des Infinis. Chacun de ces récits adopte donc un ton différent, et fait appel à un illustrateur différent.

Forcément, il est difficile d’accrocher à tous les récits, car certains sont fort étrangement mis en page (celui du Désespoir notamment) et pas forcément faciles à appréhender. Enfin tout dépend de quand on le lit.

Pour la petite anecdote, quand Delcourt a décidé de publier Sandman, le choix a été fait de publier d’abord le tome 4 –réputé plus accessible- et le tome 11, Nuits éternelles (son titre de l'époque) soit disant excellente porte d’entrée… sauf que tout n’est pas compréhensible lorsqu’on n’est pas familiarisé avec l’univers, et que les histoires révèlent un certain nombre d’éléments (notamment la mort du Rêve ou l’identité du frère du Rêve qui est parti et qui n’est pas explicitement nommé de suite dans la série). Inutile de dire que je n’ai pas trop apprécié à l’époque.

Lu comme un bonus et à son emplacement correct (à la fin donc), Nuits d’Infinis passe beaucoup mieux, et je me suis fait la réflexion à la lecture que j’avais fini par apprécier tous les récits, même si je garde un faible pour ceux de la Mort (parce que c’est la Mort), du Délire (superbe graphiquement) et de Destruction (sans doute parce que c’est un personnage sur lequel on veut toujours en savoir plus).

Voilà pour le tour de cette septième intégrale, je ne vous détaillerais pas les bonus mais comme d’habitude on se régale des planches supplémentaires et des entretiens qui viennent éclairer ce qu’on a lu sous un jour différent.

Je me répète sans doute mais cette réédition par Urban Comics est une superbe réalisation (traduction, bonus, nouvelles colorisations bien moins agressives) qui vaut largement chaque euro que j’ai dépensé pour racheter une série que j’avais pourtant déjà dans son intégralité.

Il aura fallu presque 20 ans (depuis la première tentative par Le Téméraire en 1997) pour y arriver, mais il existe enfin une édition complète française à la hauteur d’une œuvre magnifique que je vous invite à découvrir si ce n’est pas déjà fait (en même temps si ce n’est pas déjà fait, vous n’êtes pas censés lire cet article !).

J’espère maintenant que la traduction des œuvres annexes va suivre. Sandman Overture c’est prévu (je me doute bien que ce ne sera pas aussi bon que le reste mais les dessins font envie), et j’espère bien voir réapparaître une belle édition de la mini-série Death. Et puis Lucifer tant qu’à faire, ça serait bien aussi !

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dimanche 6 mars 2016

Les yeux d’ambre – Joan D. Vinge


L’an dernier, en lisant l’anthologie Encore des femmes et des merveilles, j’étais tombée sous le charme d’une excellente nouvelle de Joan D. Vinge, Le soldat de plomb. Il était donc logique de continuer à explorer ses écrits. J’aurais pu me pencher sur Le cycle de Tiamat, mais j’avais déjà lu une partie des romans il y a fort longtemps. J’ai donc opté pour son recueil de nouvelles, Les yeux d’ambre.

Et ce choix s’est révélé fort judicieux, vu que les cinq nouvelles qui composent cet ouvrage se sont toutes révélées d’excellente qualité. On a affaire ici à une science-fiction (parfois dissimulée sous un vernis de fantasy) qui parle essentiellement de voyage spatial, d’exploration de planètes et de colonies sur d’autres mondes. Un cadre classique (de la bonne vieille SF comme je l’aime pour dire vrai), mais l’auteure en profite pour explorer tout un tas d’interrogations et de thèmes annexes, et pour mettre en scène de chouettes personnages. Résultat, je suis tombée sous le charme dès la première nouvelle.

Les yeux d'ambre, qui ouvre donc ce recueil, m’a en effet impressionné par sa construction (une histoire de fantasy au premier abord qui bascule dans une science-fiction tout ce qu’il y a de plus sérieux par la suite) et par les nombreux thèmes abordés : en vrac on va parler de célébrité, de la vie privée, de la famille, de la morale, de l'Autre et même... de traduction ! Je n'en dis pas plus pour vous laisser découvrir cette nouvelle (qui a reçu un prix Hugo en son temps).

Depuis des hauteurs impensables explore le thème classique du voyageur envoyé dans l'espace en solitaire, et qui forcément finit par ne plus tourner très rond dans sa tête. Cette nouvelle est portée par un personnage central très humain (et féminin, youhouh !). L’aspect que j’ai le plus aimé ? Les raisons qui ont poussé cette femme à être volontaire pour un tel voyage.

Mediaman raconte une mission de sauvetage sur une planète glaciale, organisé par le fils d’un riche industriel et couverte par un mediaman (une sorte de journaliste-cameraman prêt à tout pour décrocher le scoop et trouver un emploi stable). L’ambiance de space-opéra est bien trouvée, avec cette humanité qui a conquis d'autres planètes et qui régresse peu à peu faute de matériaux de base. Le trio de personnages est joliment dessiné, et j’ai bien apprécié la conclusion.

Avec L'Aide du colporteur, on se croirait presque dans un univers de fantasy, avec cette histoire de marchand qui vend de superbes objets magiques et cherche une escorte pour attendre la ville. Mais il n’en est rien, la nouvelle cache en fait quelques éléments de SF. Il s’agit probablement du texte le moins marquant du recueil, mais on passe un bon moment à suivre les pérégrinations des personnages.

J’avais déjà croisé la route de Soldat de plomb (c’est le texte qui m’a amené à ce recueil), mais je n’ai pas pu m’empêcher de la relire. Cela a confirmé l’excellente impression que j’avais en tête. Cette histoire d'une rencontre entre un cyborg coincé sur une planète et une femme qui voyage dans l'espace est vraiment chouette : l'univers est très riche, l'auteure exploite à merveille les problématiques du voyage dans l'espace, et la relation entre les deux personnages est juste touchante. Il s’agit du premier texte publié par Joan D. Vinge, une belle réussite.

Voilà pour cet excellent recueil dont j’ai vraiment apprécié le fourmillement d’idées, mais aussi les personnages très humains. Sa dernière réédition remonte malheureusement à 1992, mais si vous croisez sa route chez un bouquiniste, n’hésitez pas surtout pour la première et la dernière nouvelle.

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Item 15 : Lire un livre de SFFF féministe

Qu’est-ce qu’un livre de SFFF féministe ? La question m’a beaucoup travaillé, et au final j'ai choisi de présenter Les yeux d'ambre pour compléter cet item-ci, parce qu'à la lecture, j'ai noté une forme de féminisme que j'ai beaucoup apprécié : le féminisme tout en discrétion.

La plupart des héros des nouvelles des Yeux d'ambre sont des hommes (à l'exception de la première et de Depuis des hauteurs impensables) et les thèmes abordés ne m'ont pas semblé plus militants que ça, mais... tous les personnages féminins, qu'ils soient de premier ou de second plan, sont tous des personnages fort, déterminés, qui ne rentrent pas dans les moules féminins stéréotypés voire s'en affranchissent totalement. Sans pour autant se refuser l’opportunité de fondre en larmes, de tomber amoureuse ou de sortir entre filles. Bref, ce sont des personnages équilibrés, et c’est ce que j’ai aimé : du féminisme qui ne force pas le trait.

mardi 1 mars 2016

Recueil factice – Février 2016

Le mois de février a été le mois des séries télé, ce n’est pas souvent que j’en chronique plus que de livres !

LIVRES


Le livre d’or de la science-fiction : science-fiction allemande (anthologie)

Pour Clara : prix 2007 (anthologie)

Les mille automnes de Jacob de Zoet – David Mitchell

Fables 25 : Adieu – Bill Willingham

FILMS


Les aventuriers de l’arche perdue en ciné-concert
Ah un « petit » ciné-concert, cela faisait longtemps ! Et comment résister à l’occasion de revoir la première aventure d’Indiana Jones au cinéma en profitant d’une BO jouée en live ? Impossible de résister, et j’ai cédé sans aucun regret. Parce que John Williams en concert c’est toujours excellent, et que ce n’était que du bonheur de voir ce film sur grand écran (à tel point que j’en ai parfois oublié la musique). Certes la BO n’est pas extrêmement variée, mais le thème principal est incroyable dynamique, et le chef d’orchestre (un peu étourdi, il a oublié de ramener ses partitions après l’entracte !) ne s’est pas privé de le jouer encore et encore, et nous l’a même fait chanter !

Les délices de Tokyo – Naomi Kawase
Racontant la rencontre entre un vendeur de dorayakis et une petite vieille qui souhaite travailler dans sa boutique, Les délices de Tokyo est un film très calme, qui parle certes de cuisine, mais aussi de solitude et d’isolement (j’ai d’ailleurs été assez surprise de la tournure prise par le film qui aborde une thématique bien éloignée de la pâtisserie). J’ai aimé son caractère intimiste, son rythme lent et sa construction quasi-géométrique (trois personnages qui représentent les trois âges de la vie, quatre saisons qui se succèdent, etc.).

Kung Fu Panda - Mark Osborne et John Stevenson
A force de voir la bande-annonce du troisième volet au cinéma, j’ai eu envie de rattraper les deux précédents, et pour le moment je suis bien contente de l’avoir fait. Kung Fu Panda (le titre est un résumé en lui-même) mérite le détour pour ses séquences de kung-fu délirants, son animation superbe (mention spéciale à l’intro), mais aussi pour son héros atypique qui prouve qu’on peut sauver le monde même en ayant un peu de bedaine !

SÉRIES


Dragons : race to the edge - saison 2
J’étais déjà un peu mitigée sur la première série d’épisode diffusée sur Netflix, et cette deuxième partie a hélas confirmé ma semi-déception. En soit Dragons : race to the edge est une série fort sympathique, colorée, avec des personnages attachants et de délicieux moments dignes d’un vieux cartoon de Bip-Bip et le coyote. Mais je regrette un peu que le public visé soit résolument plus jeune, si bien qu’on perd un peu en subtilité et en complexité dans les intrigues. Sympathique donc, mais pas indispensable (contrairement aux premières saisons qui étaient d’excellents compléments aux films).

The Expanse – Saison 1
Cette série de space-opéra à l’échelle du système solaire mêle un point d’intrigue policière avec une bonne dose de complots et de manipulations pour semble-t-il déclencher une guerre entre Mars et la Terre. J’ai beaucoup aimé l’univers (à la fois petit et immense) et l’ambiance, mais je n’ai pas complètement accroché à l’ensemble, la faute sans doute à des personnages pas forcément très attachants. Comme la saison n’est pas bien longue (10 épisodes), je me laisserais sans doute tenter par la suite.

Galavant – Saison 2
J’étais un peu restée sur ma faim lorsque la saison 1 s’est terminé, mais l’introduction délicieusement déjantée de la saison 2 m’a donné envie de redonner sa chance à cette comédie musicale de fantasy, et grand bien m’en a pris. Peut-être étais-je dans un meilleur état d’esprit pour apprécier cette absurdité, toujours est-il que j’ai adoré cette deuxième saison drôle, déjantée, absurde, avec des chansons toujours aussi délirantes. Avec une mention spécial pour la licorne, pour Tad Cooper et pour le final aussi épique que drôle, si bien qu’on verserait presque une petite larme à la fin à l’idée que l’aventure va s’arrêter là (à priori).

Gotham – Saison 1
De même que Smallville racontait la jeunesse de Superman, Gotham met en scène celle de Batman, en mettant particulièrement l’accent sur le futur commissaire Gordon qui fait ses premiers pas dans un commissariat où la corruption est monnaie courante. Le résultat est une série globalement sympathique, où on s’amuse à voir Bruce Wayne se construire peu à peu pendant que les incontournables méchants de l’univers font peu à peu leur apparition, de façon plus (le Pingouin) ou moins discrète (le futur épouvantail). On pourra reprocher quelques facilités dans la résolution des enquêtes, et un final un peu fouillis, mais globalement c’est une série sympathique, qui arrive à développer assez de sous-intrigues pour tenir 22 épisodes sans réel passage à vide.

Trepalium
En soit Trepalium est un phénomène assez extraordinaire : c’est une série française de SF diffusée sur une chaîne tout ce qu’il y a de plus respectable, à une heure de grande écoute. Du coup même si elle ne révolutionne pas vraiment le monde de la SF en imaginant un monde où un mur sépare les travailleurs des chômeurs, je suis relativement indulgente car elle existe. En toute honnêteté les personnes sont un peu fades, et l’intrigue très prévisible tire un peu trop en longueur (quatre épisodes auraient suffi), mais il y a un aspect qui est vraiment réussi, c’est l’esthétique délicieusement rétro-futuriste. Pour citer M. Vert, ça fait un peu Allemagne de l’Est du futur !

SORTIES

L’art dans le jeu vidéo : l’inspiration française au musée d’art ludique
Cette très belle exposition présente des magnifiques dessins, peintures et sculptures conceptuelles liées aux jeux vidéo de la dernière décennie. De quoi baver devant les sublimes paysages ou les détails des costumes des personnages. J’ai bien aimé l’introduction qui compare les équipes de conception des jeux aux ateliers de la Renaissance, par contre je me suis tout de même interrogée tout du long de l’exposition : alors qu’un jeu vidéo est si vite dépassé par son successeur (à tout point de vue), ces œuvres vidéoludiques auront-elle la même postérité que celles créées à la Renaissance ?

Le secret de l’Etat aux archives nationales
Archives secrètes, espionnage et cryptographie, comment voulez-vous résister à un tel programme ? Et cette exposition est très riche en la matière, dévoilant des trésors de documents, remontant jusque dans les années 1600-1700 si ma mémoire ne me joue pas de tours. J’ai adoré les machines de cryptage (notamment la fameuse Enigma), les notes de frais des espions et les petits souvenirs étranges comme le bout de papier avec les codes de l’arme nucléaire que portait toujours De Gaulle sur lui. J’ai par contre regretté d’avoir une telle méconnaissance de l’histoire politique française, qui empêche je pense d’apprécier toute la saveur des documents présentés.

A VENIR EN MARS…

Côté livres, vous devriez avoir les chroniques du dernier tome de Sandman et des Yeux d’ambre de Joan D. Vinge (j’aurais pu les caser en février mais j’aurais publié mon bilan en avril du coup !), et ensuite je vais continuer l’opération « vidage de PàL – remplissage de challenge ». En commençant par Les chutes de Joyce Carol Oates, que je vais devoir sous peu rendre à la bibliothèque

Côté films, il devrait encore y avoir du Kung Fu Panda, du The Revenant et du Batman vs. Superman si je tiens mon planning. Et j’aurais pu vous parler des Innocentes mais je préfère laisser reposer un peu le film d’abord.

Côté séries, comme toutes les séries en cours sont à jour, il faut maintenant faire un choix parmi toutes celles à voir… normalement 11.22.63 est au programme.